Traverser la biosphère Sian Ka’an à vélo – Etat de Quintana Roo, Mexique

Amateurs de paysages exotiques, d’aventures et de sensations fortes, ce chemin est pour vous!

La biosphère de Sian Ka’an est un un des trois plus grands espaces naturels protégés du Mexique avec Calakmul et El Vizcaino. Elle s’étend sur 650 mille hectares et le long des 120kms séparant les municipalités de Tulum et de Felipe Carillo Puerto, dans l’Etat de Quintana Roo. Ce parc naturel exceptionnel abrite une pluralité d’écosystèmes: plages de sable blanc, récifs coralliens, cenotes, savanes, mangroves, zones humides, forêts tropicales.

La faune et la flore y abondent. Y prospèrent plus de 300 espèces d’oiseaux, plus de 100 espèces de plantes. Les chanceux y observent lamantins, dauphins, tortues, crocodiles, jaguars, pumas, ocelots, tapirs, chevreuils, singes hurleurs et singes araignées, papillons Morpho, grenouilles et lézards en tout genre.

Sian Ka’an signifie “Origine du ciel” en Maya et est inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1987. La biosphère est strictement protégée. Quelques villas de luxe émaillent la partie littorale, mais aucune nouvelle construction n’est désormais autorisée et la partie jungle fait l’objet d’une surveillance renforcée contre les braconniers de tout poil.

De Tulum, il est possible de rejoindre la ville de Felipe Carillo Puerto en traversant la biosphère de Sian Ka’an. Un terrain de jeu idéal pour les voyageur à vélo… intrépides!

En empruntant la route 15, il convient tout d’abord de traverser la folle zone hôtelière de Tulum et de se frayer un passage entre les taxis, les camions et le flot de touristes qui se déverse sans discontinuer sur cette petite route embouteillée. Un conseil: ne faites pas comme nous, partez tôt!!!

Un arc Maya marque l’entrée de la réserve ou se fait l’inscription (40 pesos par personne). A partir de ce point, le bitume fait place à une route de cailloux chaotique. Gare aux nids de poule !

Mais quelle beauté ! Le chemin serpente ainsi le long de l’étroite péninsule sur 53 kilomètres. La mer à main gauche, la lagune à main droite ; cette fine bande de terre dévoile toute son élégance à mesure que nous avançons. Quinze kilomètres après l’entrée, un pont traverse la mangrove, duquel peuvent s’observer quelques paresseux crocodiles.

Plus au sud, nous longeons soudain des plages paradisiaques de sable blanc. Un vrai décor de carte postale… ou presque. Le rivage est hélas jonché de plastique. Sur des kilomètres et des kilomètres, ce merveilleux décor est gâché par une pollution infâme, vomie vagues après vague par l’océan. Des bouteilles (tellement!!!), des bidons, des ballons, des cuillères, des chaussures, des sacs, des tuyaux, des pailles…

Ce plastique, c’est toi, c’est moi. C’est notre faute. Un océan de plastique que nous avons créé et qui se retrouve ici, éparpillé, à nu, révélé devant nos yeux écoeurés. La lutte contre la pollution par le petit geste symbolique de refuser une tasse de café jetable ne suffit plus. Elle est là, la réalité ; elle ne se cache plus, l’horreur de notre monde de polystyrène. Et par delà notre regard dégoûté, une petite pensée émue pour nos chère tortues, emblèmes de notre voyage, qui nagent, s’empêtrent, s’emmêlent, s’éborgnent, s’étouffent, se meurent de nos immondices joyeusement consommées.

La route se poursuit maintenant sous un tunnel de palmiers, puis s’élargit un peu à mesure que nous nous rapprochons du village, zigzagant toujours entre les nids de poule. Seules quelques voitures s’aventurent jusqu’à ce point de la péninsule, un calme bienvenu après la cacophonie déjantée de Tulum.

Nous arrivons à Punta Allen avec le soleil couchant. Le vent se fait de plus en plus fort et le ciel se couvre de nuages menaçant. Rejetés par le campement Serenidad Shardon (la propriétaire, américaine ou canadienne, ne nous a sans doute pas jugé assez classe pour son Glamping), deux policiers nous proposent de camper dans le parc du village. Nous sommes sur le point d’accepter mais décidons d’abord d’aller jeter un œil à l’autre campement, Selva y Cielo, situé à l’entré de Punta Allen. L’attrait d’une douche chaude, d’un joli coin de plage et d’une journée de repos les pieds dans l’eau et la tête sous les palmiers l’emporte et nous nous installons sans regret dans ce petit coin de paradis.

Punta Allen est un agréable village de pêcheurs situé à l’extrême pointe de la presqu’île, coincé entre lagune et océan turquoise, mangrove et forêt tropicale. Le rythme y est lent, bien plus lent que l’agitation frénétique de Tulum et bien loin de son attrait artificiel. Si les prix des restaurants et supérettes reflètent toujours l’influence touristique, l’atmosphère générale est bien plus authentique.
L’une des grande tradition du village est la pêche à la langouste. Lorsque le temps le permet, les pêcheurs sortent relever leurs casiers et reviennent au ponton vers 16h* duquel il est alors possible d’acheter directement le crustacé frais. Comptez 300 pesos/kg pour l’animal entier et 600 pesos/kg pour la queue seulement. De retour au campement Cielo y Selva, vous pouvez demander aux cuisines de vous la préparer à l’ail ou beurre… un régal pour les amateurs de produits de la mer!

Si de Punta Allen vous souhaitez ensuite comme nous continuer l’aventure Sian Ka’an, rendez-vous au ponton côté lagune. De là, il est possible de trouver un pêcheur qui fera traverser vers El Playon. Nous négocions notre place sur le bateau de l’un d’eux à 300 pesos et convenons de nous retrouver à 8h le lendemain matin.

Il fait encore nuit quand nous remballons tentes et matelas, et c’est les yeux encore endormis que nous pédalons jusqu’au petit restaurant familial La Veracruzana où nous avons convenu la veille avec le propriétaire de nous retrouver à 7h pour le petit déjeuner. Sa femme dors encore lorsque nous toquons gentiment à la porte. Nous dévorons nos œufs et commandons quatre empanadas à emporter, puis rejoignons le ponton où Jose nous attend pour la traversée.

Les vélos sont chargés tels quels sur le petit bateau. Les rayons du soleil levant inondent doucement la calme lagune, et en 10min, nous sommes déjà de l’autre côté. Jose nous aide à débarquer et prend le temps de nous indiquer une raie-guitar nageant paisiblement.

Quelques minutes plus tard, nous sommes seuls sur le ponton de El Playon.

68 kilomètres de nature sauvage nous séparent de Felipe Carillo Puerto. Les premiers tours de pédale se font sur un chemin rocailleux s’étirant le long de la lagune au milieu de la mangrove. Le projet de préservation et de restauration de l’espace naturel est bien visible ici.

Les oiseaux s’en donnent à coeur joie. On y observe cormorans, frégates, martin pêcheurs, hérons, ibis, colibris…un paradis pour les ornithologues amateurs.

(liste complète des oiseaux de la réserve ici http://www.pericosmexico.org/aviturismopdf/GuiaSianKaan(low-res).pdf)

La mangrove fait place aux marais puis à la savane et à la forêt tropicale. Très vite, le chemin devient plus étroit, la végétation plus dense. La route se faufile dans un tunnel de branches et lianes. Le sol humide, qui ne voit jamais les rayons du soleil, est couvert en permanence d’une fine couche mousseuse verdâtre… Pédaler sur ce sol utra-glissant, tantôt sablonneux, tantôt boueux, tantôt pierreux, en évitant les innombrables nids de poules, est un véritable défi physique. Parfait pour acquérir une nouvelle compétence sur le vélo : la glisse.

Dix fois, vingt fois, nos roues patines et nous perdons le contrôle. Je tombe si souvent que j’en perd le compte. A chaque fois, il me faut soulever les 40 kilo de mon bardas pour tenter tant bien que mal de le remettre d’aplomb, sans déraper une nouvelle fois. Je ne compte plus les bleus et les égratignures sur mes jambes nues. Juan, plus adroit, n’embrassera le sol boueux qu’une seule fois, atterrissant sur son arrière train dans une élégante glissade bien réceptionnée.

Parfois, le chemin nous donne un peu de répit, un temps pour souffler, reprendre des force, scruter la jungle pour espérer entrevoir la faune sauvage si variée.

Nous avançons à vitesse d’escargot, pas plus de 5 ou 6 km/heures.

Il est également redoutable de s’arrêter car ce lieu magique et inapprivoisé est aussi le royaume sacré des moustiques !! Des hordes foisonnantes vrombissent à nos oreilles, nous assaillent, nous encerclent, nous harcèlent et profitent de la moindre faiblesse dans nos défenses pour piquer chaque centimètre carré de peau non protégée.

L’avancée dans ces conditions est difficile, fatigante. Mais tout à coup, un bruit dans le feuillage nous fait mettre pied à terre (attention aux arrêts brusque, mieux vaut rouler doucement et être capable de poser le pied que de tenter de freiner dans ces conditions ou bien c’est le dérapage garanti!!) : au dessus de nos têtes, des singes se balancent de branches en branches avant de disparaître, engloutis par la forêt. Plus loin, c’est une grenouille minuscule, pas plus grande qu’un grain de mais, qui saute devant nos roues. Des papillons dignes d’Alice au Pays des Merveilles volettent autour de notre convoi, comme pour nous indiquer la direction. Une dinde énorme, multicolore, se pavane au milieu du chemin tandis qu’un faisant prend la pose sur une branche d’arbre.

Il règne en ces lieux un calme intense. Mais rien n’est silencieux cependant ! La foret nous dévoile sa complexité, nous laisse entrevoir l’abondante vie qu’elle recèle. Le bruissement des branches, le vrombissement des insectes, le chants des oiseaux, le croassement des grenouilles, le crissement des lézards sur les feuilles mortes… la jungle grouille d’une activité invisible et bruyante.

Après 22 kilomètres, le chemin débouche sur une intersection qui offre une porte de sortie bienvenue au cycliste échaudé par la technicité du parcours. En prenant à droite, il est possible de rejoindre la route principale puis de rallier ainsi rapidement Felipe Carillo Puerto.

Nous choisissons cependant la voie de gauche et nous enfonçons un peu plus dans la forêt. La végétation se fait toujours plus dense, mais quelques trouées laissent voir un étrange paysage de savane ou des marais à l’eau noire épaisse, avant de replonger dans l’ombre des arbres. Une portion inondée sur 700m nous force à mouiller nos pieds et à avancer avec prudence, priant pour ne pas déraper sur le sol effroyablement glissant.

Il est 15h30 lorsque nous atteignons la Caseta Santa Teresa à 38 kilomètres du point de départ. Nous décidons d’y faire une pause et dirigeons nos roues vers la clairière, surprenant ce-faisant l’unique humain à des kilomètres à la ronde : Anselmo, le gardien du parc. Il nous accueille avec plaisir, ravi d’un peu de compagnie lui qui passe 8 jours toutes les deux semaines seul, totalement isolé, dans cet ancien centre de recherche perdu au milieu de la jungle.

Nous discutons un peu, dévorons nos empanadas et nous renseignons sur l’état de la route jusqu’au village. Il est déjà 16h et il nous reste encore 29 kilomètres à parcourir. A ce rythme et dans ces conditions, nous n’y arriverons jamais avant la nuit. Or, il apparaît très imprudent de s’aventurer à pédaler cette patinoire sans lumières… sans parler des éventuels animaux sauvages. En outre, je suis passablement épuisée.

Anselmo nous autorise à établir notre campement au milieu des baraquements, ponctuant son invitation d’un énigmatique « A vos risques et périls »… L’occasion de nous souvenir que nous sommes au milieu d’une forêt sauvage. La nuit, ce lieu est le royaume des serpents et des jaguars. C’est leur domaine. Leur territoire. Nous n’en sommes que les humbles invités. Nous installons notre tente près de l’une des cabines et nous lovons repus de fatigue dans notre refuge, alors que chauve-souris et libellules profitent enfin de la fraicheur du soir.

Il est près de minuit lorsque j’ouvre soudainement mes yeux. Un bruit sans doute m’a réveillé. Le ciel est constellé d’étoile et la voie lactée brille intensément. Tout autour, comme en échos, scintille une myriade de lucioles. Je tente de garder les yeux ouverts pour repérer les fameux jaguars mais la fatigue est la plus forte et je finis par me rallonger puis me rendormir.

Le lendemain, il fait encore nuit noire quand nous nous réveillons à 6h. Pas question cependant de reprendre la route sans lumière. Nous patientons un peu, prenons notre temps pour remballer nos affaires. Il est 8h lorsque nous donnons finalement nos premiers tour de roue de la journée, non sans avoir d’abord pu remercier chaleureusement Anselmo.

Les 29 derniers kilomètres sont aussi éprouvants que la veille. Le chemin est tout aussi savonneux et délicat. Je tombe six fois de plus.

Après le ranch situé à 15 kilomètres de la Caseta, la route s’élargit un peu et semble plus facile. Attention cependant à ne pas relâcher son attention, de nombreux passages sont toujours traitres sous les pneus.

Enfin, les premières habitations signent le début du village de Felipe Carillo Puerto et la fin de cette folle expérience: la traversée de la biosphere de Sian Ka’an à vélo.

En résumé, si vous aussi vous vous posez la question de traverser ou non cet incroyable espace naturel protégé, nous vous répondons : Oui, c’est possible !!! Faites-le !!

MAIS :
– avec un vélo approprié pour ce genre de surface glissante (oubliez le vélo de route ou le tandem!)
– prévoyez de bons pneus
– emportez beaucoup d’eau et de la nourriture (Anselmo nous a gentiment réapprovisionné en eau mais il a dû puiser sur sa réserve personnelle…)
– préparez l’anti-moustique et un t-shirt à manches longues
– soyez prêt à transpirer, à tomber, à vous relever… bref, à en baver.

Et… profitez simplement de cette extraordinaire aventure !!!

Quelques informations pratiques :

Entrée Biosphère Sian Ka’an : 40 pesos/personnes

Camping à Punta Allen, Selva y Cielo : 500 pesos/tente/nuit

Traversée en barque de Punta Allen à El Playon : 300 pesos pour deux personnes (négociation directement avec le pêcheur)

Tulum – Punta Allen: 53km

El Playon – Felipe Carillo Puerto: 68km

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