La Dalton Highway 1ère partie

La navette poursuit sa course le long de la route serpentant entre les reliefs de l’Alaska et nous laisse entrevoir le chemin que nous devrons bientôt refaire en sens inverse, cette fois sur deux roues. Bientôt, l’asphalte laisse place à une voie de terre et de cailloux qui ballotent notre convoi. Nous faisons la connaissance de Tim, un autre cycliste, dont l’équipage léger (bien plus léger que le notre) avait attiré notre attention un peu plus tôt. Il nous apprend qu’il est en route pour Prudhoe Bay, afin de tenter le record de rallier Mexico à vélo en 6 semaines.

Petit à petit, le ciel s’éclairci et les nuages font place au soleil. Soudain, Robbie, notre chauffeur, ralenti et fait doucement marche arrière : sur le bord de la route déserte est assis un magnifique lynx, qui nous observe avec curiosité. C’est une grande chance d’apercevoir ce beau félin qu’il reste très rare de rencontrer. Robbie profite de l’occasion pour nous signaler un peu plus loin un énorme nid de balbuzard, un rapace que l’on retrouve un peu partout dans le monde et qui aime se nicher près des lacs et des rivières.

Les collines se succèdent les unes après les autres, la route monte et descend et je commence à sérieusement m’angoisser à l’idée de devoir grimper ces pentes abruptes à vélo. Juan et Tim s’amusent de me voir si soucieuse et m’informent qu’il ne s’agit là que de ‘bébés montées’…. Qu’importe, de mon point de vue, ces pentes semblent coriaces. Tim nous fait remarquer, goguenard, que débuter un premier voyage à vélo par ce coin du globe relève sans doute un peu de la folie… Nous n’imaginions pas à quel point il avait raison !

Six heures de route plus tard, Robbie nous dépose finalement à destination. Nous y sommes, enfin. Le panneau indiquant le Cercle Polaire se dresse devant nous, point de départ symbolique de notre grande aventure. Surgie de nul part, une petite dame courbée, cheveux gris, nous remet un certificat attestant de notre traversée officielle de l’invisible ligne marquant le contour de cette froide partie du monde.

Après un pique nique rapide et un combat acharné avec un écureuil arrogant bien décidé à nous subtiliser nos sandwichs, nous enfournons nos engins.

Et nous voila partis, en route pour nos premiers kilomètres le long de la Dalton Highway. Comme je me l’imaginais, l’avancée est ardue. Le chemin de terre et de cailloux rend chaque coup de pédale plus difficile, il nous faut forcer. Et notre manque d’entrainement se fait aussi un peu sentir. Se dresse rapidement devant nous une pente très raide d’une longueur terrifiante. La fameuse Beaver slide, dont nous apprendrons par la suite qu’elle reste dans la mémoire de ceux qui ont eu à l’affronter. Je confirme. Dès les premiers tours de roue, nous peinons. Très vite, je suffoque, mes jambes me brulent. J’abandonne, et me retrouve à pousser mon vélo dans cette montée de l’enfer. Mais même ainsi, je peine. Juan a également posé pied à terre et tente de m’encourager. A ce moment là déjà, je commence à entendre une petite voix dans un coin de ma tête qui, doucement puis de plus en plus fort, me chuchote : mais qu’est-ce que tu fous ici ma vieille ?!

Nous arrivons au sommet, épuisés. Nous roulons encore un peu avant de décider de stopper pour la nuit. Nous trouvons un endroit parfait pour planter la tente dans le renfoncement d’un des accès d’urgence au pipeline, cette fierté américaine longeant la Dalton Highway et reliant les plateformes pétrolières du nord de l’Alaska jusqu’au Port maritime de Valdez, d’où le pétrole est acheminé pour raffinage.

Nous filtrons l’eau de la rivière précieusement récupérée par Juan et dévorons avidement une soupe de pâtes au poulet, avant de suspendre nos sacs de nourriture dans un arbre rabougris, loin de notre campement, dans une tentative maladroite d’éviter tout contact avec les ours, uniques habitants avec les élans, les loups et autres membres sauvages de la faune locale, de cette région désertée par les hommes.

Nous dormons 12h ! Ce premier matin établi notre rituel : nous nous habillons, remballons la tente, engloutissons notre petit déjeuner et raccrochons les paniers sur nos vélos. Et en avant pour notre deuxième jour. L’objectif est de parcourir 35km. C’est dur. Je souffre beaucoup, notamment pendant les dix premiers kilomètres. Plusieurs fois, je dois descendre pour pousser mon lourd chargement le long de ces fichues montées sableuses. Nous faisons une pause bienvenue au sommet de la Finger Mountain. Mon énergie est au plus bas. Munie de mes précieuses jumelles, je suis néanmoins Juan sur le petit chemin menant à un joli point de vue sur les steppes de l’Alaska. Nous débusquons des yeux marmottes et écureuils et je scrute en vain le paysage à la recherche d’un élan.

Le surplomb rocheux est balayé par un vent glacial. Nous reprenons bien vite la route et je finis par comprendre « le truc » évident permettant de grimper les côtes : il suffit de prendre le plus de vitesse possible dans la descente… en évitant les nids de poule sournois. Enfin, je gravis ma première montée sans poser pied à terre. Puis une deuxième. Puis une troisième…

Le soir venu, nos kilomètres avalés, la ligne d’accès au pipeline nous offre de nouveau un endroit où nous installer pour la nuit. Mes jambes sont de bois.

Retour en haut