Traversée du Yukon

Ce que nous ignorions, c’est l’étendue du no man’s land entre les deux postes-frontières. En effet, 30km séparent la douane américaine de la douane canadienne.

C’est sous une pluie glaciale que nous traversons notre première frontière à vélo. Je passe sans soucis, mais l’interrogatoire de Juan semble plus long que nécessaire. L’agent lui demande s’il a déjà mis les pieds au Canada. « Non » lui répond Juan. « Vous êtes sur ? » Insiste l’agent. Le douanier lui explique alors que son nom et sa date de naissance match le profil d’un homme recherché par la justice canadienne, et l’invite à passer dans le bureau pour un contrôle d’identité. Il ne lui suffira cependant que quelques minutes pour confirmer que Juanito n’est pas le criminel recherché par leur service. Ouf !

C’est ainsi que nous entrons au Canada !

Bever Creek est une toute petite ville aux porte du Yukon. Si petite, qu’il n’y a même pas de supérette où nous réapprovisionner. Le mauvais temps et le froid persistant, nous décidons de passer la nuit dans un motel. Je me sens un peu patraque. Le repos me fait du bien. Nous repartons, optimistes, sous un ciel plutôt clément. Les nuages cependant s’amoncellent sournoisement à l’horizon. La montagne se voile progressivement. En quelques heures, nous sommes cernés. Les nuages noirs crèvent au dessus de nos têtes en une violente averse de grêle, qui rebondit et crisse sous nos pneus. Avec l’altitude, la grêle devient neige. Il fait si froid. Nos gants humides ne nous protègent plus du tout. A 5km du campement, je craque (de nouveau). Je suis congelée et épuisée, je n’arrive plus à avancer. Juan n’en mène pas beaucoup plus large, mais il contient un peu mieux ses émotions. Je lui demande  « mais comment peut-on réellement aimer ça ??? » Puis je me mord la langue. Nous sommes tous les deux embarqués dans la même galère. Nous arrivons tant bien que mal à destination et choisissons de passer la nuit sous une des tentes déjà installée du camping. Une gentille dame, prise de pitié, me retire mes gants et commence frotter énergiquement mes doigts pour faire revenir le sang qui a déserté. Pendant que nous nous installons dans notre abris, son mari nous prépare un bon feu de bois près duquel nous nous réchauffons avant d’en être chassé de nouveau par la pluie.

Nous nous glissons dans nos duvets de plume et nous serrons l’un contre l’autre pour repousser ce froid glacial.

Le lendemain, le soleil est enfin de retour. Nous découvrons le Yukon sous un autre jour. La route, qu’encadrent de somptueuses montagnes, les rivières qui bouillonnent, les lacs d’un bleu profond sur lesquels nagent paresseusement cygnes et canards, les forets de pins qui s’étendent à l’infinie… tout nous éblouis. Suivant les recommandations de wikicamp, nous installons notre campement sauvage dans un recoin secret, sur les bords de la Donjek river. La vue est saisissante. Nous nous apprêtons a diner lorsque apparaît une petite voiture bleue bien familière… La 2CV de Carine et Quentin se gare à quelques mètres de notre tente. Nous sommes ravis de les retrouver !! Nous discutons autour d’un délicieux café. Je suis aussi secrètement soulagée que nous n’ayons pas à dormir seul dans ce bel endroit visiblement aussi fréquenté par les ours.

Le lendemain matin, Quentin m’offre de nouveau un bon café auquel je ne peux résister, ainsi qu’une petite grille parfaite pour toster mon pain. Nous regardons leur convoi s’éloigner et enfourchons nos vélos avec comme objectif la ville de Destruction Bay, 70km plus loin.

La route grimpe doucement. Nous enchainons des kilomètres et des kilomètres de pente douce, avec la sensation cependant de ne pas avancer. En effet, un vent de face terrible s’est levé et je découvre un nouvel ennemi. Chaque coup de pédale est une bataille contre une force invisible. Epuisant ! Le paysage est cependant toujours aussi épatant.

Nous arrivons totalement épuisés après cette dure journée. Destruction Bay est une petite ville très mignonne sur les bord du lac Kluane. Affamés, comme toujours, nous avisons un petit restaurant et décidons de remplir nos estomacs avant de décider où nous installer pour la nuit. Elena, la serveuse originaire de Madrid, nous parle de la région. Elle aussi, a parcouru les route a vélo avec son amie. Elles sont tombées sous le charme du Yukon et ont décidé de s’y installer. Elle revient bientôt avec notre repas et nous dit, mystérieuse : « Votre diner a été payé et vous avez un toit où dormir ce soir si vous le souhaitez ». Et de poser devant nous une notre écrite à la main. Nous lisons, incrédules, les quelques lignes : une jeune femme, se présentant comme l’infirmière du village, nous explique avoir beaucoup voyagé et avoir toujours reçu de l’aide. Elle souhaite nous rendre la pareille, a donc en effet réglé notre repas et nous offre une chambre dans la grande maison qu’elle occupe, mise à disposition par le gouvernement. Nous n’en revenons pas. Je sens des larmes de gratitudes me picoter les yeux.

Nous nous présentons donc à l’adresse indiqué et Lindsay, jeune infirmière en mission dans le Yukon, nous ouvre sa porte et nous installe confortablement.

Nous dormons à poings fermés dans ce délicieux lit si confortable. Lorsque nous nous levons, Lindsay est déjà au travail et nous passons par son cabinet lui dire au revoir et la remercier encore pour sa gentillesse qui, peut être sans avoir l’air de rien, signifie tellement pour nous.

Nous passons une merveilleuse journée. Nous pédalons le long du lac Kluane sous un soleil magnifique. Le vent est tombé. Le lac d’un bleu turquoise scintille et l’air sent bon l’herbe humide. Profitant de quelques pauses pour engloutir nos barres de céréales, nous cherchons à la jumelle les chèvres des montagnes et observons plusieurs troupeaux qui paissent paisiblement dans un paysage alpin.

Nous avançons vite et bien. Le soir venu, nous cherchons sur wiki camp un endroit où établir notre campement. Nous dénichons un petit chemin en bordure de la route, s’enfonçant dans la forêt et en suivons le tracé étroit et chaotique qui débouche finalement sur une petite plateforme à deux étages, surplombant la vallée. La vue sur les montagnes est sublime. L’endroit est parfait. Dans le soucis d’éviter toute visite impromptue d’un ours, nous décidons de laisser sacs et vélos sur la partie haute et choisissons avec soin le lieu où déplier notre maison de tissu en contrebas.

L’air se rafraîchit lentement, à mesure que le soleil descend derrière les montagnes. Nous entreprenons de collecter du bois et bientôt, un joyeux feu de camp brûle au milieu de notre « cuisine » improvisée. Assis à même le sol, bercés par le crépitement du feu, nous dévorons nos pâtes devant le spectacle du soleil couchant rosissant les sommets enneigés. Un tapis de petites fleurs blanches, douces comme du coton, s’étale autour de nous. Juan me regarde et me dit « Tu ne peux pas dire que je ne t’emmène jamais nul part » Et de fait, à ce moment je suis certaine qu’aucun restaurant cinq étoiles au monde ne peut rivaliser avec la vue qui s’offre à nous.

Nous nous glissons finalement dans notre tente, fatigués et prêts pour une bonne nuit de sommeil. Ma paranoïa des ours se réveille cependant. Nous sommes au milieu de nul part, seuls… et si nous étions attaqué ? L’histoire de ce jeune français ayant récemment été tué dans le Yukon me trotte dans la tête. Je me sens un peu stupide mais ne peut m’empêcher de penser que l’endroit est bien isolé. Juanito, bien décidé à calmer mes angoisses imaginaires, s’empare alors du vaporisateur anti ours, que nous gardons toujours à proximité, et me dit « Si ça peux te rassurer, je retire la sécurité, pour être prêt à dégainer encore plus vite ». Et s’étant exercé a ce jeu à plusieurs reprise comme conseillé sur le produit, il joint le geste à la parole. Erreur monumentale !!! Cette fois-ci, un léger (très léger) « psshhhit » s’échappe de la bombe. Pendant 1/4 de seconde, nous nous marrons comme des gamins. Puis tout s’enchaine très vite. Je vois Juan devenir rouge tomate et plonger sur l’une des ouvertures de la tente, l’ouvrir à toute vitesse et s’éjecter à l’extérieur comme un diable hors de sa boite. 1 seconde plus tard, je comprend pourquoi : soudain, je suffoque, mon nez est brûlant et je n’arrive plus à respirer. Je me propulse à mon tour à l’extérieur par l’autre côte et cherche en vain à retrouver mon souffle. Mes yeux pleurent, l’air se refuse à pénétrer mes poumons, ma gorge est complètement bloquée. Mon premier réflexe est de paniquer, mais très vite, je me calme et tente au contraire de me relaxer le plus possible pour détendre ce nœud terrible qui m’empêche de respirer. D’un coup, le nœud se relâche et l’air pénètre enfin dans ma poitrine. Ma gorge, mes yeux, mon nez me brûlent mais je ne suffoque plus. Je regarde Juan, qui est dans le même état. Pleurant et toussant, nous partons dans un fou rire incontrôlable…

Il nous faudra attendre plusieurs heures avant de pouvoir réintégrer la tente. Juan a du produit sur la main, qui lui brûle la peau et nous entreprenons de laver les dégâts avec nos réserves d’eau. Il se sent également un peu malade. Inquiète, je le surveille et me refuse à dormir avant d’être certaine que tout va bien.

Des pneus crissent sur les graviers la lumière de phares éclaire soudain l’intérieur de notre tente. Nous sortons pour tomber nez a nez avec deux petites françaises, Flo et Pauline, qui nous expliquent être en roadtrip de plusieurs mois autour du Canada et des Etats-Unis. Elles installent leur van un peu plus haut, près de nos vélos. Nous réussissons finalement à nous endormir, bien agités.

Lorsque nous nous réveillons le lendemain matin, une légère couche de glace recouvre la tente ainsi que nos affaires, abandonnées à l’extérieur pour la nuit. Il fait -5ºC. Nous ravivons le feu et nos mains glacées s’affairent à préparer le petit déjeuner. La lumière du petit matin glisse doucement le long de la montagne et vient finalement faire fondre la fine pellicule de gel. Dans un ballet rituel, nous emballons nos affaires. Pendant que je discute avec Pauline et Flo, Juan bataille avec l’une des sardines de notre tente, enfoncée profondément dans une racine qui refuse de libérer sa proie.

Un peu fatigués par notre nuit agitée, nous rebroussons chemin et retrouvons la route, pour engloutir les derniers 45km avant la ville de Haines Junction.

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