De Fairbanks à la frontière canadienne

Je suis réveillée au matin suivant par une sensation d’humidité à mes pieds. La verrière du dortoir, installé dans une ancienne serre, à une fuite et l’eau qui ruisselle sur le toit goutte sur le matelas de mon lit superposé. En équilibre sur le bord du lit, j’enjambe l’espace me séparant du lit voisin et me glisse près de Juan, au sec. Pas le temps de lézarder cependant, il est 8h et nous avons du pain sur la planche.

Notre matériel a été entreposé la veille dans le garage de la guesthouse et requiert l’attention. Juan s’occupe de bichonner nos vélos pendant que je fais l’inventaire de nos sacs. Tout est trempé et couvert de boue, mais l’étanchéité du tissu a joué son rôle. On ne peut pas en dire autant du gros sac bleu de Juan dont les coutures n’ont pas résisté à la pluie torrentielle. Je découvre également un trou de la taille d’une pièce de monnaie. Evidement, duvet et matelas ont pris l’eau, c’est un carnage. Quant à la tente, elle aussi dégouline de partout.

Nous entreprenons de suspendre le tout aux différentes étagères, clous et câbles que nous trouvons et enfournons tous nos vêtements puant dans la machine à laver de l’établissement.

Après ces 4 premiers jours pour le moins difficiles sur la Dalton Highway, le retour à Fairbanks est une sorte de douce parenthèse. Nous en profitons pour compléter notre équipement et retournons passer deux nuits chez Ephy et Ryan. Nous retrouvons également le temps d’une soirée nos frères d’armes de la Dalton Highway : Jake et Linden, un couple d’américain formidable qui voyage avec leur chien Mabel ; Alan, un cycliste au parcours qui force le respect et Tetsu, un japonais téméraire. Autour d’une bière bien fraîche, nous partageons nos souvenirs de ce bout de route sur lequel nous avons tous les six pédalé, ri et souffert.

C’est parfaitement reposés, nos vélos comme neufs et nos affaires sèches que nous reprenons finalement la route le 6 août, en direction de la frontière. Nous aurions voulu faire un détour par le parc national de Denali, mais le mauvais temps nous a fait changer nos plans.

Le premier jour, la route est plate, sans relief. Nous avançons vite sous un ciel clément, ce ruban d’asphalte est un plaisir à pédaler après les cailloux de la Dalton. Nous passons par la ville de North Pole. Il ne s’agit bien-sûr pas du « vrai » Pôle Nord, mais d’une ville baptisée ainsi afin d’attirer les compagnies de jouets dans la région. Le thème de Noël se retrouve partout dans la cité : des lampadaires en forme de sucre candy illuminent les rues aux noms aussi pittoresques que « Santa Clause lane », « Snowman Lane » or « Miseltoe Drive ». Des lutins en bois indiquent l’entrée des nombreux « gifts shop » qui émaillent la ville. La maison du père Noël, qui était à l’origine le premier bureau de poste, reçoit chaque année des milliers de lettres d’enfants à laquelle elle se fait un devoir de répondre.

Nous stoppons après 80km au niveau de la ville de Salcha, et plantons notre tente sur un camp au bord de la rivière.

Le lendemain matin, la pluie est de retour. A l’abris sous le porche d’une petite cabine, nous dégustons notre petit déjeuner en regardant tomber les gouttes. Pas question de remonter sur le vélo sous cette eau, je me refuse à vivre un nouvel épisode à la « Dalton » !

Petit à petit, la pluie cesse, le ciel s’éclairci. Vers 15h, nous sommes repartis. Nous avançons bon train, admirant le cours changeant de la rivière le long de laquelle serpente la route. Soudain, mon guidon vacille. Je stabilise et continu ma course. Deuxième secousse. Quelque chose ne tourne pas rond. Un coup d’oeil à ma roue avant suffit pour constater que je suis à plat. Super ! Juan a déjà quelques temps d’avance et rebrousse chemin pour me venir en aide. Ensemble, nous désassemblons mes sacoches puis je l’observe sortir un petit boitier et s’attaquer à la réparation de ma valve endommagée. Nous trouvons sans trop de peine la cause de la crevaison : une énorme agrafe s’est fixée dans mon pneu et a poinçonné le caoutchouc. 1H plus tard, nous voilà reparti. Il est déjà tard cependant. Nous roulons encore un peu et décidons de stopper pour la nuit sur les bords d’un magnifique lac, le Birch lake.

Surprise agréable : nous y retrouvons nos amis Linden et Jake (et Mabel), partis comme nous de Fairbanks. Ces derniers nous invitent à diner autour d’un joyeux feu de bois et nous partageons une délicieuse soupe préparée par Linden. La vue de notre tente est idyllique ; le soleil couchant donne à voir un magnifique spectacle.

Notre troupe atypique reprend la route le lendemain, sous un ciel nuageux. Dès les premiers kilomètres, Linden et Jake nous sèment. Ils sont visiblement bien plus entrainés que nous !

La route monte doucement, je me concentre sur ma respiration. Et soudain, je les vois : sur le bord de la route, deux élans (maman et bébé) nous observent en mâchouillant de l’herbe. C’est fou comme cette simple apparition peut rebooster ! Nous revoilà plein d’énergie, heureux pour la journée ! Et les surprises ne font que commencer. A seulement quelques kilomètres de notre étape du jour, nous avisons une autre famille d’élans sur le bord de la route. La femelle décide soudain de traverser, suivie par ses deux petits, à quelques mètres de nous. Nous n’en menons pas large, maman est tout simplement énorme ! Et nous savons que les élans peuvent être aussi dangereux et imprévisibles que les ours s’ils se sentent menacés. Le petit groupe passe cependant gentiment de l’autre côté de la route, et nous reprenons bien vite la nôtre.

Nous arrivons en vue de Delta Junction la faim au ventre et avisons une station essence supposée proposer des repas. Pas de chance, elle est fermée. Juan fait demi-tour pendant qu’un homme, la soixantaine, s’approche de moi. Il me demande ce que nous cherchons et je lui explique notre quête de nourriture. Je reçoit en retour un moqueur « ah oui, vous les femmes, vous fatiguez vite» Et de m’expliquer que je dois être épuisée, parce que je suis une femme, et que une femme sur le vélo, comparé à un homme, ba voilà , c’est pas pareil, l’homme n’est jamais fatigué, il endure. Je me force à sourire, bien qu’une petite voix dans ma tête s’anime en mode « balance ton quoi ». Flute de zut, je les ai fais ces kilomètres, oui ou bien ? J’ai pédalé la même distance. Et qui a dit que j’étais plus fatiguée ???! « Laisse moi te chanteeeeeeer d’aller te faire mmmmmmm ».

Je remonte sur mon vélo, un poil furieuse.

Nous trouvons cependant rapidement de quoi nous restaurer, avec un authentique Pad thai, et nous installons dans le campsite à l’entrée de la ville.

Je passe sans faire attention devant une petite voiture bleue et Juan m’interpelle alors, hilare « C’est une 2CV!!! Les gens sont français ! » En effet, nous faisons la connaissance de Carine et Quentin, un couple au top qui a voyagé avec leur extraordinaire petite deux chevaux bleue vintage depuis le Brésil. Ils sont descendus en Patagonie et ont remonté le continent jusqu’en Alaska. Un épatant périple, et des compétences mécaniques hors pair !

Linden et Jake aussi sont installés non loin, ainsi qu’un autre couple de cyclistes allemands, Sven et Carina.

Nous déclarons la journée suivante « jour de repos » et ne faisons absolument rien, si ce n’est quelques courses afin de nous ravitailler en pâtes, soupes déshydratées, beurre de cacahouète, noix en tout genre et saucisson.

Cette petite pause nous fait du bien et nous repartons pour une cinquantaine de kilomètres où nous campons près d’un pont, à l’abris sous un préau de bois. Sur la route, nous croisons Jeremy et Daisy, un couple franco-belge qui a lui aussi décidé de partir à l’aventure sur deux roues.

Nous avançons, doucement mais sûrement, le long de l’Alaska Highway. Le relief ne m’achève plus autant qu’avant. Je sens que mon corps prend le rythme du voyage, autant que mon esprit. Par moment, je regarde mes ongles crasseux avec désespoir, puis me mets à rire toute seule. Qui, parmi mes ami(e)s, ma famille, supporterait ces conditions ? La pluie, l’effort, le mental mit à rude épreuve, le manque de douche, le confort rudimentaire…. Parce que voyager à vélo, c’est aussi cela. Lorsque la route monte un peu trop, lorsque je peine à appuyer sur les pédales, c’est a cela que je pense : « Tu peux y arriver. Tu es une battante » (avec la musique de Rocky en fond, s’il vous plait)

Ce voyage, c’est aussi un challenge. Et j’espère bien le relever !

En arrivant vers Tok, se dressent soudain devant nous la chaine de montagne de l’Alaska Range. Elles sont là, comme un mur spectaculaire et infranchissable, saupoudrées de neige. La route se fait plus souple. J’en profite pour suivre les conseils de mon coach (aka papa) et travailler ma vélocité. J’avance ainsi pendant 4km, faisant tourner mes jambes à toute vitesse… avant de décider que c’est assez.

Nous faisons halte pour la nuit dans un charmant camping tenu par une allemande et terminons les 40km nous séparant de Tok le lendemain. Nous y retrouvons Carina et Sven, et sommes entrainés un peu malgré nous par le gérant du camp, dans un concours de lancer de pancakes que nous perdons lamentablement.

Seulement un peu plus d’une centaine de kilomètres nous séparent désormais de la frontière canadienne. Le temps est humide et la route grimpe allègrement entre les montagnes. La pluie nous surprend à plusieurs reprises, mais ne dure heureusement jamais très longtemps. Nous planifions de passer la nuit à 10km du poste de douane. Lorsque nous arrivons en vue du camping cependant, nous trouvons porte close. Nous poussons un peu plus loin, sans espoir aucun de pouvoir planter la tente dans cette zone humide. Bientôt, nous voila au poste frontière. Désemparés, nous tentons de faire demi-tour mais les douaniers américains nous arrêtent. Un agent nous informe que le campement que nous cherchions est a été fermé il y a déjà plusieurs année, et qu’il n’y a en effet aucun endroit propice au camping sauvage dans ce coin. Il est tard cependant. Devant nos mines déconfites, il hésite une seconde, puis nous dit :  « Un peu plus loin, il y a une sorte de point d’accueil pour les visiteurs, avec un abris. Vous pouvez mettre votre tente en dessous ! »

Et c’est ainsi que nous nous retrouvons a camper littéralement SUR la frontière terrestre entre le Canada et les Etats-Unis.

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